Au cours d’une mission, j’ai rencontré Amani Zihalirwa Phopho, Chef de Bureau Formation du Ministère des Finances de RDC. Il m’a fait part d’une anecdote qu’il m’a autorisé à partager ici. Son histoire illustre parfaitement l’importance cruciale de l’évaluation ex-ante avant la conception d’un projet. Une évaluation ex-ante est une analyse préalable effectuée avant le début d’un projet afin d’évaluer sa pertinence, sa faisabilité et son impact potentiel. Elle permet de comprendre les besoins locaux, d’identifier les risques et les obstacles qui pourraient survenir pendant la réalisation du projet. Voici son histoire.
L’histoire des robinets saccagés
Au sommet d’une montagne, dans un pays d’Afrique centrale, se trouvait un village de pygmées. Leur mode de vie et leurs mentalités étaient très différentes de ceux des habitants locaux environnants. Ils résidaient dans de très petites maisons en paille, pouvant contenir à peine 3 ou 4 personnes, et continuaient à puiser de l’eau à deux heures de marche de chez eux, tout en bas de la montagne.
Face à cette réalité, un chargé de projet d’une ONG locale sollicita des financements auprès d’un bailleur de fonds pour installer, au sein de la communauté, 15 bornes-fontaines munies de robinets. Cette initiative visait à épargner aux villageois le trajet pénible et chronophage vers la source d’eau. Pour concrétiser ce projet, il fallut d’abord obtenir des autorisations pour accéder à la communauté, puis rencontrer ses représentants. Lors de cette rencontre, on leur expliqua qu’aller puiser de l’eau à deux heures de marche de chez eux, tout en bas de la montagne, était très coûteux en temps, épuisant, dégradant et inhumain. La communauté accueillit favorablement la construction de ces 15 bornes-fontaines. Une grande célébration fût organisée lorsque l’eau commença à couler au sein de la communauté.
À l’époque, Amani était expert en gestion communautaire de réductions des risques des catastrophes naturelles. Il avait été recruté pour réaliser l’évaluation finale du projet, trois mois après la remise du projet à la communauté. Il arriva là-bas, dans ce village, et fût accueilli par les responsables du village. Il observa avec surprise que tous les villageois avaient un visage très fermé et la mâchoire serrée. Il leur demanda :
– « Pourquoi vous n’êtes pas contents? On m’a dit qu’on vous avait construit 15 bornes fontaine avec des robinets, mais je n’en vois aucune ici, qu’est-ce qui se passe ? »
Les responsables de la communauté s’avancèrent vers lui, accompagnés de quelques femmes et de quelques hommes, et lui répondirent :
– « Vous les Bantous, avec vos Blancs là, vous avez un mauvais plan contre nous ! Vous nous avez amenés ces bornes-fontaines pour stopper notre procréation, pour couper la procréation des pygmées ! Comme ça, quand nous ne serons plus là, vous allez venir occuper notre terre. Nous avons compris votre stratégie !!! C’est pour ça que les bornes-fontaine que vous nous avez installées ont été sabotées, nous les avons TOUTES sabotées ! «
– « Mais… Pourquoi avez-vous saboté toutes les bornes ? Je ne comprends pas ».
– « Sachez que nous profitons des moments où nos enfants vont puiser de l’eau, à deux heures de marche d’ici, pour faire l’amour. Nous avons souvent l’habitude d’envoyer les enfants au puit au même moment. Nous profitons de ce moment-là pour faire l’amour et, par voie de conséquence, pour procréer ».
L’importance de l’évaluation ex-ante
Au vu de son impact négatif sur la communauté, le projet n’a pas été reconduit. L’histoire partagée par Amani Zihalirwa Phopho souligne l’importance cruciale de réaliser une évaluation ex ante avant le démarrage d’un projet. Dans le cas présenté, il aurait été nécessaire d’impliquer la communauté dès le début du processus afin de mieux comprendre leurs habitudes et modes de vie. Cette analyse aurait permis d’éviter la mise en place d’une solution inadaptée, telle que des bornes-fontaines. L’évaluation ex ante est donc essentielle pour assurer le succès et l’efficacité des projets en garantissant qu’ils répondent aux besoins réels de la communauté tout en minimisant les risques d’échec ou les impacts négatifs sur la communauté.
Si vous avez un autre exemple de projet qui a eu un impact négatif sur la communauté, n’hésitez pas à m’en faire part, ça m’intéresse !
Dr Laetitia GERARD
Coopération universitaire 