Doctorat

Les stéréotypes dans les films: un frein à l’emploi des docteurs ?

Le diplôme de doctorat ne mène plus uniquement à une carrière académique, il ouvre d’autres perspectives de carrière et notamment dans le secteur privé. La recherche menée par le cabinet Adoc Talent Management montre d’ailleurs qu’il y a une adéquation entre le pool de compétences développé par les docteurs et les besoins des entreprises. Or, on remarque que l’insertion des docteurs en entreprise reste encore beaucoup trop marginale, notamment pour les docteurs issus d’une discipline des Sciences humaines et sociales: 3% seulement des docteurs qui intègrent l’entreprise proviennent de l’une de ces disciplines (MESR, 2011b). Pourquoi y a-t-il aussi peu de docteurs SHS dans les entreprises ? Les raisons de l’insertion timide des docteurs SHS en entreprise sont largement développées dans le rapport de Adoc Talent Management ou dans le rapport de Sébastien Poulain, je ne les aborderai donc pas ici. J’ai plutôt souhaité questionner le lien entre la manière dont les doctorants et les docteurs étaient représentés dans les films et dans les séries et l’image que cela pouvait renvoyer aux employeurs potentiels. Philippe Gambette et Pascale Climent-Delteil de l’association Quoi de neuf Doc ont d’ailleurs écrit un très bon article sur le sujet, doctorat et cinéma. J’ai choisi de prendre l’exemple de six films et séries et de séparer les personnages de jeunes chercheurs issus d’une discipline des sciences humaines et ceux issus d’une discipline des sciences dures.

L’image des doctorants et des docteurs SHS dans les films et les séries

1. Des sujets de thèse très éloignés des préoccupations des entreprises
et
Tanguy, dans le film du même nom, fait une thèse de chinois qui s’intitule « l’émergence du concept de subjectivité en chine ancienne ». Un sujet qui, selon sa mère, n’intéresse que lui et quelques rares spécialistes du domaine : « ils sont peut-être dix dans le monde à savoir de quoi il s’agit, non mais franchement, qu’est-ce que qu’on s’en fou de l’émergence du concept de je ne sais pas quoi, on s’en fou ! ». Dans le film On connait la chanson, Camille est une doctorante en histoire qui travaille sur « les chevaliers paysans de l’an mil au lac de Paladru ». Dans l’extrait ICI devenu culte, Nicolas questionne Camille sur l’intérêt de son sujet de thèse :
« Les chevaliers-paysans de l’an Mil au lac de Paladru’. — Au lac de ???… — Paladru !!! — Mais euh…, excuse-moi, mais…, il y a des gens que…, que ça intéresse, ce ?… — Non, personne. — Mais pourquoi t’as choisi ce sujet, alors ? — Pour faire parler les cons. — T’sais, moi, je te demandais ça, c’est plus une formalité qu’autre chose, hein. — C’est bien ce que j’avais compris.».
On ne connait pas le sujet de thèse de Ross Geller dans la série Friend, mais on sait qu’il est docteur en paléontologie. Enfin, Cécile, dans le film Bimboland fait une thèse en ethnologie qui est intitulée « approche endométrique des échanges commerciaux entre les femmes macaco et celles des tribus avoisinantes ».
Dans ces quatre films et séries, le jeune chercheur est stéréotypé comme une personne qui travaille sur une problématique très éloignée des préoccupations actuelles de nos sociétés post modernes (aussi bien dans le temps que dans l’espace). L’accent est uniquement mis sur les compétences disciplinaires du jeune chercheur, pas toujours utiles à l’entreprise, au détriment de ses compétences transversales, qui constituent, quant à elles, un atout certain pour le développement des entreprises : adaptabilité, gestion de projet, communication orale et écrite, travail en équipe, ingénierie de formation, etc.

2. L’intello coincé, enfermé dans son petit monde scientifique

Tanguy a tous les accessoires du parfait petit intello: chemise, costard, lunettes, cheveux coiffés en arrière qui lui donne un air sérieux. Sa mère le décrit péjorativement comme « le petit génie » inintelligible « avec lui, on ne comprend jamais rien ». Cécile, dans Bimboland, a la même panoplie : tailleur, lunettes et cheveux attachés en arrière. Camille, dans le film « On connait la chanson » est décrite comme « la surdoué de la famille » par sa soeur. Dans « Friends », Ross est quelqu’un de timide (voire coincé), très honnête (voire moralisateur) et très cultivé. Il s’exprime dans un langage plutôt soutenu et saoule ses amis avec ses connaissances et ses discours parfois pompeux sur les dinosaures, à la limite du pédantisme. Maladivement pointilleux, il a l’habitude de corriger les erreurs grammaticales de ses amis.
Ici, le jeune chercheur est stéréotypé comme une personne très cultivée, un peu pédante ou énervante, enfermée dans sa bulle scientifique, incapable de s’exprimer dans un langage clair et compréhensible par tous.

L’image des doctorants et des docteurs en sciences dures dans les films et les séries

1. De petits génies geek asociaux…

Dans la série The big bang theory, les doctorants sont représentés comme des petits génies geek asociaux. Ils se comprennent entre eux, mais une fois sortis de leur petit cercle de scientifiques, ils deviennent complètement inintelligibles, même le téléspectateur se perd dans leur jargon scientifique. Sheldon Cooper, l’un des personnages principaux, est dépicté comme un brillant chercheur extrêmement pédant et imbu de sa personne: il obtient son premier doctorat à l’âge de 16 ans, il est diplômé d’une maitrise et de deux doctorats et possède un QI de 187. Complètement asocial, le moindre contact physique avec autrui le répugne. Il ne sait pas (et ne souhaite pas toujours) communiquer avec son entourage. Il souffre de nombreux TOC comme le rangement compulsif, le rituel du choix de son siège ou de ses repas. Avec lui, les doctorants en SHS en prennent pour leur grade, seuls les sciences dures n’ayant d’intérêt à ses yeux : « la géologie n’est pas une vraie science », « l’avantage d’enseigner en histoire est que tu n’as pas à créer de choses, tu te rappelles de faits passés et tu les répètes comme un perroquet ».

2. …complètement incontrôlables !

Dans les comics, avez-vous remarqué que les vilains sont souvent des docteurs en sciences dures ? Ils sont représentés comme des savants fous incontrôlables, oscillant entre génie et folie. Un article a été écrit sur ce sujet Why are so many villains doctors ?. Par exemple, le docteur Octopus, l’ennemi de Spiderman est un scientifique atomiste. Dans Teen Titans, le docteur Light est physicien. L’un des ennemis de Batman, le docteur Hurt est psychiatre. On peut citer aussi le Docteur Demonicus (généticien) dans Godzilla ou encore le docteur Faustus (psychiatre) dans Captain America.

Conclusion

Les films et séries participent, à mon sens, à la persistance de stéréotypes dévalorisants à l’encontre du jeune chercheur : qui voudrait embaucher un geek associal poussiéreux inintelligible? Restons tout de même positif. Depuis que la presse grand public s’intéresse à la vie des doctorants, les stéréotypes s’estompent, même si certains articles ont tendance à insister un peu trop à mon goût sur le côté « pauv’e petit doctorant sans ressources et sans avenir ». A noter aussi que le terme thésard est encore trop souvent utilisé : la solitude du thésard de fond (mensuel Pourquoi apprendre ?) et Thésard, une vie de loser (Libération). Thésard….Quand ce terme sera-t-il enfin banni du vocabulaire des journalistes au profit de celui de doctorant ? Le mot Thésard est définit par le dictionnaire de l’ATILF comme « la personne qui prépare une thèse de doctorat. Ainsi, parler de thésard c’est réduire abusivement le doctorat à l’unique rédaction d’une thèse. On exclu de faite, toutes les autres activités annexes à la thèse mais qui font pleinement parties de la formation doctorale, telles que les enseignements, l’écriture d’articles, les conférences, les formations etc. Il n’y a pas que la thèse dans le doctorat. Deuxièmement, le suffixe –ard est un suffixe péjoratif (dictionnaire en ligne de l’ATILF) qui le place au même niveau que tous ces autres termes dévalorisants : bâtard, cafard, pleurnichard, crevard, clochard, binoclard, mollard, gueulard, reniflard, soûlard, pochard.

caricature-préjugé-4b

Dessin issu de mon site La thèse nuit gravement à la santé

3 réflexions au sujet de “Les stéréotypes dans les films: un frein à l’emploi des docteurs ?”

  1. La vision de Sheldon Cooper est erronnée : les sciences autres que les SHS n’ont pas toutes son approbation. En fait, seule la physique théorique est considérée comme digne d’éloges et ses collègues de physique appliquée ou de biologie en prennent également régulièrement pour leur grade. Il y a quelques rares références positives à d’autres disciplines, comme l’astrophysique, mais elles restent rares.

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  2. Il me semble également qu’une des deux actrices de « Vicky Cristina Barcelona » fait une thèse sur l’identité catalane et qu’on lui fait rapidement comprendre que ses recherches n’intéressent personne… Bref, c’est compliqué de trouver des personnages de doctorants socialement valorisés !

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