Qualité de l'enseignement supérieur

Etat des lieux de l’enseignement supérieur en Haïti

L’une de mes récentes missions en Haïti a consisté à évaluer l’impact du projet FSP intitulé « Appui à la restructuration et à la modernisation du système d’enseignement supérieur haïtien » (PARMSESH). Erik Houinsou, un collègue consultant, a travaillé avec moi sur l’évaluation du projet. Je garde un excellent souvenir de cette mission et remercie l’ambassade de France pour la confiance qu’ils nous ont accordée. De part leur confidentialité, je ne présenterai pas ici les résultats de notre évaluation du PARMSESH. L’article dresse plutôt un état des lieux des principaux problèmes auxquels se retrouve confronté l’enseignement supérieur haïtien.
Documents ressources :
– Le Rapport du Groupe de Travail sur l’Éducation et la Formation (GREF, janv. 2011) ;
– L’enquête DESRS/EUMC 2009 ;
– La fiche Curie d’Haïti ;
– Les TdR et documents internes du PARMSESH.
– Notre enquête de terrain.

1. La prédominance des institutions d’enseignement supérieur privées

Selon le rapport du GREF, il y a environ 150 000 étudiants en Haïti et seulement 20% d’entre eux sont inscrits dans un établissement public. Les 80% restants sont absorbés par le secteur privé de l’enseignement supérieur haïtien. L’université publique ne pouvant pas absorber toute la masse estudiantine, cette prédominance des institutions d’enseignement supérieur privées est une bonne chose dans le sens où elle offre la possibilité aux bacheliers d’accéder aux études supérieures. Néanmoins, la qualité des formations proposées restent souvent insuffisante.

2. Un déficit de gouvernance au niveau de l’Exécutif

Il n’existe actuellement ni structure, ni cadre légal, relatif à la coordination des activités des institutions d’enseignement supérieur en Haïti. Cette fonction fait pourtant partie des attributions du ministère de l’Éducation (MENFP), d’après la loi organique du 23 octobre 1984 et le décret du 5 juin 1989. Pour remédier à cet état de fait, le MENFP a créé, en 1995, la Direction de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique (DESRS). Cette structure ad hoc n’a pas encore été dotée de moyens suffisants lui permettant d’exercer sa mission. Ainsi, le cadrage juridique et institutionnel de l’enseignement supérieur reste encore à définir.

3. Le manque d’institutions d’enseignement supérieur en région

L’offre universitaire haïtienne s’est développée de manière quelque peu désordonnée au cours des 20 dernières années. Elle se caractérise par une multiplicité d’acteurs et une très grande hétérogénéité de situations. Plus de 200 établissements d’enseignement supérieur ont ainsi été répertoriés. 80% des institutions d’enseignement supérieur du pays sont regroupées à Port-au-Prince, dans le département de l’Ouest, qui compte près de 40% de la population du pays et plus de 65 % des diplômés de l’enseignement secondaire (rapport du GREF).

4. Des programmes et des parcours de formation disparates

Sur le plan académique, les institutions d’enseignement supérieur proposent une multiplicité de programmes de premier cycle, souvent redondants et d’un niveau scientifique insuffisant. Par exemple, la moitié des étudiants inscrits dans une université publique suivent un cursus en gestion ou en informatique.
La licence en Haïti dure quatre années, incluant une année propédeutique. Ce diplôme reste dans la majorité des cas le premier et le seul diplôme obtenu par l’étudiant. Pour l’obtenir, il doit soutenir un mémoire de fin d’études, activité pour laquelle il n’est pas toujours accompagné.
Le système LMD n’est pas encore institutionnalisé en Haïti. Le cadrage juridique et institutionnel dans la mise en place du LMD reste à définir, que ce soit à l’échelle du ministère ou des facultés. Les initiatives LMD restent donc éparses et sporadiques. Par exemple, la durée des programmes de formation varie d’une institution à l’autre ou selon le champ d’études. L’organisation des études, à la discrétion de chaque établissement, s’opère selon le cas en année universitaire, en semestres, en unités d’enseignement, ou en crédits. Ces disparités entrainent des problèmes d’accréditation et d’équivalence qui peuvent handicaper les étudiants dans leur projet de mobilité.
L’insertion professionnelle des étudiants est un problème encore non résolu à ce jour qui vient s’ajouter à la fuite des cerveaux : 85% des Haïtiens titulaires d’un diplôme supérieur ou égal à la Licence vivent et travaillent à l’étranger (Fiche Curie).

5. Une filière recherche à développer

Elle reste encore très peu développée, le nombre d’écoles doctorales est restreint, tout comme le nombre de titulaires d’un doctorat. La grande majorité des enseignants universitaires sont titulaires, au mieux, d’un niveau licence (bac + 4) alors que moins de 10% sont titulaires d’un niveau Master (Fiche Curie). Le système de l’enseignement supérieur haïtien ne dispose pas encore de structure de pilotage en matière de recherche, ni de mécanismes ou d’outils sur lesquels les chercheurs pourraient s’appuyer pour développer leurs programmes. Par exemple, les allocations budgétaires pour la Recherche sont très largement insuffisantes. Or, l’activité de recherche est vitale pour accroître la compétitivité et répondre efficacement aux problématiques sociétales et environnementales.

6. Des conditions de vie estudiantine difficiles

Les conditions de vie des étudiants sont difficiles. Il y a une absence d’offre de services spécifiques, par les œuvres universitaires, pour faire face aux problèmes quotidiens rencontrés tels que les difficultés d’accès à l’eau, à l’électricité, à l’Internet, les problèmes de transport public et de logement. Par ailleurs, l’obligation pour les étudiants de soutenir un mémoire de fin d’études conduisent certains étudiants à boucler la licence sur une période de 5 ans.

Laetitia GERARD

Dessin issu de mon Site www.phdelirium.com

6 réflexions au sujet de “Etat des lieux de l’enseignement supérieur en Haïti”

  1. Bonjour,

    Je viens de lire les commentaires tout comme le contenu de l’article mais je m’interroge sans pour autant vouloir être un rabat-joie: comment un rapport de consultation (ou étude) sur l’enseignement supérieur en Haïti s’inscrit dans la catégorie « document confidentiel »? Qui a commandé cette (consultation) étude? Quelle est la valeur ajoutée d’une étude en matière d’appui au développement si personne n’est au courant des résultats ou du moins ils ont été partagés avec un cercle restreint qui ne décide pas du partage non plus? Au moins les recommandations auraient pu être partagées pour que les décideurs et/ou les chercheurs en apprennent mieux et suivent les repères pour l’action? Il ne s’agit pas d’une recherche sur les armes à feu, sur le service d’intelligence, sur les extra-terrestres, sur l’atteinte à la sûreté de l’État ou d’un coup d’état, on parle bien de l’enseignement supérieur.

    Désolé si mon commentaire ne s’inscrit pas dans une logique de félicitation. En une semaine je suis tombé sur trois exemples similaires où des gens arrivent de l’étranger pour faire des études sur des domaines-clés en Haiti et disent que les études sont confidentielles et que les résultats ne peuvent être partagés.

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    1. Bonjour M. Boursiquot
      Je comprends parfaitement votre commentaire, votre ressenti est tout à fait légitime. Il s’agit d’une étude commandée par l’ambassade de France en Haïti. A mon niveau je suis liée par un contrat de confidentialité.

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