Je suis partie quelques mois en mission dans 4 pays d’Afrique pour former 880 enseignants universitaires à la pédagogie. Dans le cadre de cette mission, j’ai abordé notamment les activités d’apprentissage actif que l’on peut mettre en place aisément dans des amphis de 1000 étudiants et qui ne nécessitent aucun matériel. Je voulais partager avec vous quelques-unes de ces activités.
Rendre un amphi interactif ? Mais pour quoi faire ?!
1- Pour maintenir l’attention des étudiants. La recherche s’accorde sur le fait que les étudiants restent attentifs plus longtemps lorsque le sujet les intéresse, l’enseignant présente les choses avec clarté, enthousiasme, de manière théâtrale et SURTOUT avec des pauses cognitives (Bligh, 2000; Bunce, Flens, Neiles, 2010). Ces pauses cognitives ont pour objectif de casser le rythme de l’exposé magistral, il peut suffire de montrer quelques photos, une courte vidéo (1 ou 2mn), raconter une anecdote, donner un exemple frappant, parler d’une question de recherche toujours pas résolue, faire une démonstration, ou alors mettre en place une activité pédagogique favorisant l’apprentissage actif.
2- Pour vérifier la compréhension des étudiants. Solliciter un feedback de la part des étudiants via un vote par exemple, permet de vérifier leurs acquis et de réajuster son enseignement si besoin, de revenir sur les notions non comprises. Cette évaluation formative permet également aux étudiants de s’autoévaluer, leur évitant ainsi d’attendre l’évaluation finale et sanctionnante pour avoir un retour sur leur compréhension.
3- Pour qu’ils développent des apprentissages plus nombreux. Les étudiants retiennent plus lorsque l’enseignant en dit moins, mais qu’il introduit de l’interactivité ou casse le rythme de l’exposé. Les recherches de Trenaman (1967) et Russell et al. (1984) montrent que cette préoccupation n’est pas nouvelle. Dans la recherche de Russell par exemple, trois groupes d’étudiants suivent un exposé magistral de 50mn, mais avec une densité d’informations différentes. Le G1 suit un exposé avec 50% d’informations nouvelles, et l’enseignant insiste sur les notions clés, résume, donne des exemples, des anecdotes, fait des liens avec les connaissances antérieures des étudiants. Le G2 est exposé à 70% d’informations nouvelles et G3 à 90%. Les résultats de cette recherche montre que c’est le G1 qui a réussi le mieux au test de connaissances.
4- Pour qu’ils développent des apprentissages de meilleure qualité. On distingue trois types d’apprentissage. L’exposé magistral non interactif favorise chez l’étudiant un apprentissage de type apprentissage en surface alors que les activités d’apprentissage actif favorisent un apprentissage intermédiaire ou en profondeur.
– Apprentissage en surface : apprentissage principalement basé sur la reproduction ou la mémorisation du cours. La principale activité cognitive de l’étudiant est la mémorisation (puis l’oubli).
– Apprentissage intermédiaire : l’étudiant est capable d’appliquer ce qu’il a étudié à des situations relativement similaires de ce qui a été abordé en cours. Il fait appel à des solutions simples, connues, qui se calquent sur ce qui a été vu en cours. L’activité cognitive est plus poussée que la simple mémorisation, l’étudiant distingue, sélectionne, classe, met en relations.
– Apprentissage en profondeur : l’étudiant traite activement l’information, il s’attache à relier les idées et les notions entre elles, il fait des rapports entre les différents cours, cherche à comprendre, éprouve le besoin de faire du sens en l’étoffant de recherches documentaires. Lorsqu’une activité pédagogique favorise un apprentissage en profondeur, l’étudiant développe des compétences de haut niveau tel que la conception, la résolution de problème ou l’analyse critique.
5- Pour qu’ils développent des compétences transversales utiles pour leur insertion professionnelle. Le travail en groupe ou les activités pédagogiques de type étude de cas, apprentissage par projets, développent l’autonomie, l’analyse critique, la résolution de problèmes, la négociation, la rigueur, la coopération, etc..
STOOOOP !!! Avant de se lancer, quelques conseils préalables
« J’ai essayé de poser des questions en amphi mais personne ne répondait, alors j’ai arrêté ». C’est une phrase que j’entends fréquemment. Ma question est la suivante : prendriez-vous la parole devant 499 paires d’yeux, pour répondre à une question dont on ne vous a accordé que 2 secondes de réflexion et dont vous n’êtes pas sûr à 100% de votre réponse (ridiculisation/honte possible)? Euh… Moi non en tout cas 🙂
1- Pour que les étudiants participent dans un amphi, SOIT il faut prévoir des activités individuelles qui impliquent tout le monde (ex : mini quizz), SOIT organiser des activités en binôme ou en groupe de 3 ou 4 (ex : penser-comparer-partager, étude de cas, questionnements, débat, citez des applications). Dans les deux cas, il est important de commencer par expliquer sa démarche aux étudiants parce qu’ils n’y sont pas habitués à être actifs en amphi, poser le cadre, établir le contrat : « Deux fois dans l’heure on fera une activité dans laquelle j’attends de vous… ces activités vont me permettre d’avoir un retour sur ce que vous avez compris ou non… Vous ça vous permettra de vous autoévaluer… etc. ».
2- Ensuite, il est nécessaire de mettre en place la première activité très rapidement, dés la première demie heure de cours, de manière à envoyer comme message à l’étudiant que dans votre cours son rôle consistera à adopter une posture active (réfléchir, échanger, restituer) et non pas une posture passive (écouter, prendre des notes).
3- Enfin, dans toutes activités, on laissera le temps à l’étudiant de réfléchir. Voici un exemple de scénario que l’on retrouve fréquemment : on pose une question trop vague à l’ensemble de l’auditoire « qu’est-ce que vous en pensez ? », le silence nous rend mal à l’aise, on complète rapidement par un « personne n’a d’idée ? Non?» qui, par sa tournure négative clôt toute discussion, et on finit par donner nous-mêmes la réponse, et ce au bout de 2 secondes. En tant qu’étudiant, pourquoi se fouler un neurone à réfléchir lorsque l’on sait pertinemment que l’on ne disposera pas du temps nécessaire pour réfléchir et que LA réponse sera donnée in fine par l’enseignant ? 🙂
4- Pour que les étudiants s’investissent, participent, qu’ils fassent un traitement actif de l’information et développent des compétences de haut niveau, il est préférable de les faire travailler en binôme ou en groupe de 3 ou 4.
Quelques activités de pédagogie active à tester
« Penser- comparer- partager » ou « Un Deux Tous » (6mn)
Pour le penser-comparer-partager, on va commencer par poser une question aux étudiants, leur proposer un court problème, un exercice ou alors leur demander de formuler eux-mêmes une question d’éclaircissement (« sur quels éléments du cours souhaiteriez-vous avoir un éclaircissement ?»), peu importe, c’est la technique que l’on va utiliser qui nous intéresse ici.
PENSER individuellement : Dans un 1er temps, on laisse le temps aux étudiants de réfléchir seuls à une réponse.
COMPARER avec le(s) voisin(s): Dans un deuxième temps, ils comparent leur réponse avec celle de leur(s) voisin(s). En comparant sa réponse, l’étudiant s’assure/se rassure que sa réponse n’est pas une grosse c*****, ce qui lui permettra d’intervenir plus facilement en grand groupe lors de la restitution.
PARTAGER en grand groupe. Dans un troisième temps, on invite les groupes à donner leur réponse. La première intervention est toujours la plus difficile, on prendra le temps d’attendre qu’un groupe s’autodésigne (ne pas craindre les 10 secondes de silence), il est aussi possible d’en désigner un. Les étudiants interviendront plus facilement parce qu’ils prendront la parole en tant que membre d’un groupe et non plus en tant qu’individu, ce qui est beaucoup plus confortable.
« Citez des applications » (3mn)
Dans cette activité, on demande aux étudiants de trouver eux-mêmes des exemples au cours. Par exemple « Quel exemple (ou analogie) pourrions-nous trouver pour expliquer la différence entre la mémoire vive et le disque dur ? ». Le travail se réalise en binôme ou en groupe. Comme les exemples viennent des étudiants, ils sont fiers d’avoir participé à la construction du cours, leur engagement et leur motivation n’en seront que plus grands.
Le mini quizz avec vote à main levée, cartons de couleur ou clickers
On pose une/des question(s) aux étudiants, que l’on dicte ou que l’on note sur son diaporama, avec 4 ou 5 réponses possibles. Les étudiants répondent avec des cartons de couleur (réponse 1 = levez le carton vert ; réponse 2 = levez le carton bleu…) ou avec des clickers. Des cartons de couleur ? des clickers ??? Tu avais dit sans matériel !!! Bon, ok, alors en début d’année on demandera aux étudiants de colorier 4 feuilles (une verte, une jaune, une rouge, une bleue) et de venir dans notre cours avec. Il est également possible d’utiliser le vote à main levée, mais il a ses limites : la durée du quizz est plus longue (« qui dit oui pour la réponse 1 ? Qui dit oui pour la réponse 2 ? … »), c’est parfois difficile à quantifier et les étudiants sont influencés par les réponses des autres. Avec les cartons/feuilles de couleur, on peut voir en un seul coup d’œil rapide si c’est la réponse 1 (bleu) qui domine ou la réponse 3 (vert).
L’étude de cas (15mn)
Le cas c’est la description d’un événement réaliste qui peut être réel ou fictif et qui pose problème. Il est accompagné de quelques questions pour guider l’étudiant dans sa réflexion. Il existe des études de cas de toutes durées, de toutes longueurs et de toutes complexités. Je parle ici de l’étude de cas très courte qui ne prend qu’une quinzaine ou vingtaine de minutes à mettre en place dans son cours. S’il n’est pas possible de distribuer un polycopié de l’étude de cas aux 1000 étudiants de l’amphi, il est toujours envisageable de le dicter ou de le déposer sur une plateforme en ligne que les étudiants pourraient télécharger pendant le cours. Ils réfléchissent ensuite à l’étude de cas en binôme ou en groupe de 3 ou 4.
Exemple d’une partie d’un cas que j’utilise en formation pédagogique
[…] Pendant la deuxième séance de cours, M. Jevalunimp distribue des extraits de l’ouvrage de Rousseau et demande aux étudiants de travailler en groupe à partir de trois questions. Au bout de 5 minutes, M. Jevalunimp s’approche discrètement des groupes et s’aperçoit qu’ils parlent de tout sauf de Rousseau. Il choisit alors d’arrêter là l’exercice et demande aux groupes de répondre aux trois questions. Personne ne prend la parole. […]
1) Pourquoi les étudiants ne réagissent-ils pas ?
2) Comment M. Jevalunimp aurait-il dû s’y prendre ?
Le débat (20 mn)
Le débat peut s’initier à partir d’une question, de la lecture d’une citation ou d’une extrait d’article de presse, à partir d’une image, d’une photo ou d’une vidéo. Par exemple, on peut lancer le débat en partant de cette question : « les étudiants sont-ils légitimes pour évaluer les enseignements ? » : la moitié de l’amphi cherche des arguments POUR et l’autre moitié cherche des arguments CONTRE. On laisse les étudiants travailler en groupe de 3 ou 4 pendant une dizaine de minutes. Ensuite, on fait intervenir un groupe de la moitié droite de l’amphi, puis un groupe de la moitié gauche, etc. Afin d’éviter que le débat ne prenne des allures de fête foraine, il est important de fixer les règles dés le départ « Nous allons faire un débat, l’objectif c’est de….je vous laisse préparer vos arguments pendant 10mn en groupe de 3-4, puis le débat durera 15 mn. C’est moi qui donnerai la parole aux groupes, j’alternerai groupe à droite et groupe à gauche, si ces règles ne sont pas respectées, je…. »
Sources utilisées et autres références
– Brauer, M. (2011). Enseigner à l’université. Armand Colin: Paris.
– Increase inclusion in higher education: Tips and tools for teachers
– Base de données d’études de cas
– Enseigner à un grand groupe
– Prégen, R., Bernard, H., Kozanitis, A. (2009). Enseigner dans une approche programme. Presses Internationales Polytechnique: Montréal.
Dessin issu de mon site La thèse nuit gravement à la santé
J’ai eu un professeur qui a pratiqué cette démarche à l’université. J’ai trouvé le cours encore plus barbant qu’avant. C’est la démarche la plus adaptée au système LMD, je dois l’avouer, mais je trouve que si l’étudiant avait voulu s’exprimer, il l’aurait fait de toute façon. En plus, à cause de cette méthode, l’étudiant ne maitrise qu’une partie de la matière, celle qui l’a le plus touché. Par exemple quand il y a des exposés, les exposants maitrisent beaucoup plus leurs sujet que celui des autres, alors qu’il faut maitriser la matière.
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J’ai beaucoup apprécié de lire ce post. Je me suis dit enfin ça bouge en amphi ! Contrairement à Vanessa je n’ai jamais eu de profs qui ont expérimenté cette méthode et j’aurais été curieuse de voir si cela fonctionnait. J’imagine qu’en France les étudiants sont tellement habitués à être passifs en cours que le changement va prendre du temps. Il n’y a pas que les profs qui doivent changer leurs habitudes 😉
Merci d’avoir partagé ces idées!
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Malgré un certain scepticisme sur le fait qu’à 7h45, 200 étudiants soient capable de prendre un fascicule et en plus 4 petits cartons de couleur différentes… ils l’ont fait! Quand au bout de 15 min puis 1h j’ai tenté des QCM en amphi. J’ai pu voir une jolie couleur globale avec quelques cartons discordants. Ainsi des points à éclaircir sur place ont été facilement identifiés. Je n’ai pas de retour de la part des étudiants, mais pour l’enseignant c’est vraiment pas mal. Au début les cartons se levaient timidement puis moins. Je reconnais ne pas voir été jusqu’au bout de l’objectif, avec trop peu de votes discordants pour qu’il y ait un bénéfice d’échanges entre voisins. Je ne regrette pas les 30 min passées à coté du massicot à préparer mes 800 bouts de carton recyclé.
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Bonjour Virginie. Merci pour votre témoignage, SUPER nouvelle !
Comme vous le dites, on peut poursuivre avec un peer instruction: 1) vote; 2) discuter avec le voisin, 3) revoter.
Pour éviter que les participants s’influencent, je leur laisse 10 secondes pour réfléchir à leur réponse, puis je dis « levez », ça permet d’éviter qu’ils répondent au hasard ou qu’ils votent comme la majorité. Ensuite, sans donner la réponse, j’interroge un participant qui a donné une réponse juste et un qui a donné une réponse fausse pour avoir leurs arguments. Ca permet de prolonger le vote. On peut imaginez tout un tas de suite possible au vote.
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c’est un sujet très intéressant, merci beaucoup !!!!!
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Merci 😀
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Article très utile, technique que je vais utiliser. De mon côté je rencontre un problème de compétence oratoire. L’amphi est grand et souvent les étudiants ne portent pas suffisamment leur voix. Cela rend leur intervention difficile à entendre, à suivre, et ce même si je formule un feed back pour le collectif. On perd l’attention de l’amphi qui fini par se lasser. Un micro mobile dans l’amphi ? des exercices de vocalise introductifs ? D’autres idées ?
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Bonjour Vivien
Merci pour votre commentaire. Moi j’utilise un micro casque mobile (amplificateur de voix pour guide touristique, rechargeable sur batterie, 40 euros) pour moi, et un micro sans fil pour faire participer les participants. Sinon, si on n’a pas de micro mobile, on peut simplement répéter ce que dit l’étudiant.
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